Imaginez un couple de serrage d’une pièce A avec une pièce B. De sa conception jusqu’à la fin de vie des pièces, en passant par les différentes opérations de maintenance, il faut garantir sa valeur avec divers intervenants qui ne partagent pas le même logiciel métier. Ce qui s’applique pour le couple de serrage vaut pour toute l’activité d’une entreprise. Consultant chez Mac’er qui travaille pour le groupe Poclain Hydraulics, Philippe Lucienne illustre ainsi « le besoin majeur des industriels ou des utilisateurs des produits : disposer de données fiables et fluides qui vont se transmettre depuis l’acte de naissance jusqu’au certificat de décès du produit. Quand l’homme de maintenance arrive avec sa tablette, il doit disposer d’une information accessible, numérisée et exacte ».
Disposer d’outils numériques compatibles avec la chaîne industrielle
La transformation des modèles d’affaires vers plus de services accélère ces échanges de données normalisées relatives aux produits. De même que les nouvelles exigences réglementaires, notamment en matière d’environnement.
Ainsi, avec l’économie circulaire, on passe d’une logique d’évaluation environnementale des sites industriels, à une logique de cycle de vie et de performance environnementale des produits. Pour Bruno Costes, directeur des affaires publiques et de la standardisation chez Airbus, Président du CCPN (Comité de Coordination et de Pilotage de la Normalisation) à l’Afnor, « une chaîne industrielle n’est pas uniforme. Il faut avoir des données cohérentes en fonction des réglementations qui s’appliquent dans les différents pays tout en gérant la volatilité de cette supply chain ». Par exemple, la partie d’un avion fabriquée en Allemagne n’a pas le même impact environnemental en France, qui bénéficie d’un mix énergétique largement décarboné. « Cette complexité nécessite de disposer d’outils numériques compatibles avec toute la chaîne industrielle », reprend Benoit Costes.
Parler le même langage
Encore faut-il s’accorder sur un langage commun, sur une ontologie, ou dictionnaire numérique de produit. La normalisation permet de définir des normes de définition des produits et des formats d’échanges, lisibles par les machines, qui peuvent être consultées par toutes sortes d’outils métier. Un travail auquel s’attelle l’IEC, qui reprend des travaux existants, selon Philippe Juhel, standardization manager chez Schneider Electric : « Des bases de données existent et nous développons des interfaces multilingues pour pouvoir échanger les données de machine à machine. Par exemple, nous travaillons sur les mises à jour de “schémathèques” ». L’UNM gère depuis longtemps un dictionnaire numérique sur les outils coupants. Elle travaille depuis quelques années avec l’UNIQ, le syndicat de la quincaillerie, sur un projet de dictionnaire par familles de produits pour le BIM (la maquette numérique du bâtiment). Avec le Cetim, elle a développé une preuve de concept sur la construction d’un dictionnaire numérique des produits mécaniciens, qui a débouché sur un guide. L’objectif, désormais, est de produire les premières normes qui préfigureront ce dictionnaire. L’intelligence artificielle devrait bien sûr booster les moteurs de recherche, même si les tests menés par l’IEC ne sont pas concluants pour l’instant : la vitesse est au rendez-vous mais pas encore la qualité.
Réduire le coût et la durée de conception des normes
Sans normalisation, pas d’échanges de données et donc pas de digitalisation de l’industrie. Mais cette digitalisation transforme également la façon d’élaborer la norme et son modèle économique. « La normalisation “vendait” du papier avec un droit d’auteur associé, remarque Bruno Costes. « Nous allons changer d’échelle avec un document numérique qui devra pouvoir être mis à jour de manière régulière et très rapide. Avec nos partenaires européens, nous devons mettre en place des smart standards pour réduire le coût et la durée de conception des normes. Il faut que l’Europe qui a un temps d’avance sur ce sujet se positionne, il en va de la compétitivité de nos entreprises ».
Philippe Juhel renchérit : « Il faut changer le processus de développement des normes qui est trop long. L’IEC produit une norme en trois mois et des discussions sont entamées avec l’ISO pour mettre en place le même processus. » Une nouvelle façon de normaliser.